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sexta-feira, março 04, 2005

Alicerçando Palavras # 49 - Georges Hyvernaud - 1902/1983


Le Wagon à Vaches

Qu'on ne s'y reconnaisse plus, dans le réel, ça a fini par se savoir.
Il y a les équivalents nobles et abstraits du wagon à vaches - l'histoire, la morale, la physique, la politique. On découvre en ces temps-ci des choses décourageantes sur la position cosmique et métaphysique de l'homme. Mais ces spéculations me dépassent. Je me garde des ambitions excessives : je m'en tiens, dans mes moments de méditation (appelons-les ainsi) à l'aspect trivial de la question du wagon à vaches. Je veux dire : à l'expérience de l'absurde vécu au niveau de la misère quotidienne par les individus les plus ordinaires. Dans ces limites-là, j'ai quand même acquis une certaine compétence. Comme usager du wagon à vaches, j'appartiens au modèle courant. Pas d'erreur. Je n'ai qu'à regarder mon reflet dans les vitrines des magasins de la rue Douillet. C'est à moi, cette silhouette étriquée. On devine l'employé à quinze mille balles. Cette mine basse, ces fringues lasses, c'est moi. Un passant quelconque, vaguement traqué. On est des millions de passants tout pareils, des millions et des millions de reflets. Pour mon compte, j'en connais pas mal. Marécasse, ou Dardillot, ou ma logeuse, ou le type d'Epernay, ou les copains de la cinquième compagnie - rien que des gens empêtrés en aveugles dans les replis d'un malheur informe. Ça suffit comme documentation. J'aurais certainement de quoi composer un traité du wagon à vaches. Il faudra que j'y réfléchisse. Le thème est usé, je sais bien. Et puis, ça mène tout droit à un naturalisme veule, à cette amertume poisseuse et primaire qui dégoûte les belles âmes. Mme Bourladou, ça lui soulèverait le cœur. Elle veut de l'optimisme et de l'énergie. Une littérature, comme elle dit souvent, qui ait le sens de la grandeur. Malheureusement, le sens de la grandeur n'a pas été accordé à tous. Il y a des natures disgraciées qui ne considèrent jamais les choses comme il faudrait. Je crains fort d'être de celles-là. Peut-être suffirait-il que j'eusse la voix ample de Flouche ou les puissantes épaules de Chancerel, le président du Comité d'Érection, pour que l'univers prît à mes yeux de belles couleurs épiques. Ce doit être rudement satisfaisant de le voir en rouge et or, comme un uniforme de l'Empire. Au lieu de le voir dans ces bruns écaillés, ces gris pustuleux, ces noirs délayés des planches de wagon à vaches.
Mais rien à faire. C'est une espèce d'infirmité que j'ai, une maladie du regard. Les grandes phrases, les grandes attitudes me mettent en méfiance Je cherche à côté, ou derrière. Je soupçonne la parodie, le truquage, l'imposture, l'enthousiasme préfabriqué ou le mensonge à soi. Je me persuade que la grandeur doit être tout à fait autre - pas oratoire, pas officielle, pas spectaculaire. C'est ce qui m'a empêché, en particulier, de trouver dans les conflits mondiaux du xxe siècle, ces vivifiantes exaltations que procure toujours une guerre à des témoins mieux conformés. Si jamais je composais mon Traité du wagon à vaches, je suppose que c'est par là qu'il faudrait commencer - par quelques menus épisodes des bouleversements internationaux qui m'ont donné à réfléchir, à certains moments de ma vie.


Georges Hyvernaud, in Le wagon à vaches,Editions Ramsay, 1985