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quinta-feira, janeiro 13, 2005

Alicerçando Palavras # 33 - Marc Jimenez


L’Enjeu des Ruptures


Définir les ruptures qui surviennent au XIXème siècle comme des refus plus ou moins brusques de la tradition est certes insuffisant. Il serait facile d’objecter que l’histoire en général et l’évolution de l’art en particulier ne sont qu’une succession, à intervalles plus ou moins longs, de sursauts, d’à-coups, de mutations, et parfois d’oppositions plus ou moins radicales aux époques antérieures. En ce sens, chaque époque s’invente une modernité en imaginant un futur susceptible de l’affranchir de la routine et de la libérer du poids des temps présents.

Platon, au IVème siècle avant notre ère, réagit en « antimoderne » vis-à-vis des innovations artistiques suggérées par certains sophistes. Sa réaction « conservatrice » prouve, par là même, l’existence d’un désir de changement qui trouve son expression dans la philosophie d’Aristote, après que celui-ci s’est séparé de l’Académie. La Renaissance marque une rupture décisive avec le prétendu « obscurantisme » du Moyen Age ; le cartésianisme rompt avec l’héritage scolastique avant que le rationalisme des Lumières ne combatte la raison classique et absolutiste ; rationalisme lui-même emporté par la bourrasque romantique. En ce sens, la querelle des « anciens » et des « modernes » a toujours sévi et la « modernité » - ou quel que soit son nom – a toujours eu ses défenseurs acharnés et ses détracteurs résolus.

Qu’est-ce qui permet de considérer la modernité, telle que la définit Baudelaire, comme annonciatrice de changements plus profonds que les précédents ? En quoi l’impressionnisme, né peu après la mort de l’auteur des Fleurs du Mal, peut-il être perçu
comme um bouleversement d’importance au moins égale à celui de la Renaissance dans l’histoire de l’art occidental ?

Certes, les dieux antiques, les saints et les apôtres chrétiens désertent les arts plastiques ; ils sont remplacés par des thèmes mettant en valeur le côté « épique » de la vie contemporaine, selon l’expression de Baudelaire. Pour le dire brièvement, le contenu de l’art, les idées représentées changent et puisent dans l’actualité. Mais plus que la nouveauté thématique, c’est surtout la forme de cette représentation qui heurte l’académisme, déconcerte la critique et choque le public. Seule une minorité d’amateurs se risquent à prendre parti pour les novateurs. Souvenons-nous de l’Olympia de Manet. Bien peu célèbrent la posture plutôt chaste et « les formes joviales de cette petite femme blanche » ; ce n’est pas la nudité en tant que telle qui pousse le public à hurler au scandale mais, comme dans Le déjeuner sur l’herbe, la manière non conventionnelle dont Manet traite le contour et le modelé d’un corps sans hiérarchie de valeurs. « Quoi de plus naïf ? » demande pourtant « naïvement » le peintre ; mais les critiques ne l’entendent pas de cette oreille et leur hargne contraste avec l’innocence de la belle indifférente au regard absent : « odalisque au ventre jaune, ramassée on ne sait où », « gorile femelle », telles sont les gracieusetés qui accueillent cette « vierge sale » et « faisandée ».

Le plus remarquable est la distorsion entre les intentions des peintres, rarement animés de mauvaises intentions, et le déchaînement des spectateurs. Les peintres ne recherchent pas sciemment le scandale ; il constatent le plus souvent que leurs oeuvres font scandale. Tel est le cas de Manet, d’éducation et de sensibilité bourgeoises, qui brigue la Légion d’honneur et L’Institut et s’abstient prudemment d’exposer ses toiles avec celles des impressionistes. Degas incarne également cette contradiction apparamment étonnante, et fréquente chez les premiers peintres de la modernité, entre le statut social, le souci de reconnaissance publique, et le tollé que provoquent leurs oeuvres. On peut être bourgeois, pudibond et néanmoins moderne. Ce qui choque les contemporains chez Degas, notamment dans les scènes intimistes montrant les femmes à leur toilette, ce ne sont pas les promesses de nudité, mais la posture du voyeur dans laquelle il installe le spectateur, invité à regarder par le trou de la serrure, non pas – comme le dit Degas lui-même – pour voir des « Suzannes au bain » mais simplement des « femmes au tub », Problème de forme donc, et non pas de contenu. Question de conventions ici refusées au profit d’un dispositif visuel qui donne l’impression d’être témoin, comme par inadvertance, d’une scène osée, prise sur le vif.

L’impressionisme confirme la tendance aux investigations formelles en ouvrant la voie à des explorations sustématiques et bientôt parfaitement programmées sur la force subversive des formes inédites ; un nouveau mode de représentation se met em place, capable d’ébranler les anciens dogmes et de dénoncer l’esthétisme de l’art pour l’art, plus sûrement encore que le réalisme puissant et généreux d’un Courbet, trop rapidement récupéré par l’académisme et le conformisme ambiants. L’hostilité du grand public et de nombreux critiques envers les formes nouvelles est là pour prouver que toucher à la forme c’est libérer une puissance subversive qui déborde le domaine artistique ; renoncer à la mimésis, au sacro-saint principe d’imitation solidement établi depuis quatre siècles, revient à saper les valeurs fondatrices de la mrale et de la politique dans une société confiante en son ordre établi.



Qu’est-ce que l’esthétique?, Marc Jimenez, Gallimard, 1977